Dans un arrêt du 25 novembre 2021, le Conseil d’État a précisé le cadre dans lequel un conflit d’intérêts pouvait être reconnu, et les conséquences sur l’impartialité de la procédure.
Faits : recrutement d’un technicien puis engagement d’une procédure d’appel d’offres
La collectivité de Corse a engagé une procédure d'appel d'offres ouvert en vue de la passation d'un accord-cadre sur bons de commande destiné à assurer la conception, la mise en œuvre, l'administration et la maintenance d'un réseau régional à très haut débit pour les établissements d'enseignement et de recherche de Corse.
Le technicien désigné par le règlement de la consultation comme en charge du dossier a été recruté 3 mois avant le lancement de la procédure et avait auparavant exercé les fonctions d’ingénieur chef de projet au sein de la société NXO France.
Le marché a été attribué à la société NXO France. Ainsi, l’offre de la société Corsica Networks a été rejetée.
Procédure : demande d’annulation du marché par le candidat évincé
La société Corsica Networks a demandé au tribunal administratif de Bastia l’annulation du contrat et la réparation du préjudice subi du fait de son éviction de la procédure.
Le tribunal a rejeté sa demande ; puis la Cour y a fait droit. La Collectivité de Corse se pourvoit en cassation contre cet arrêt.
Décision : présence d’un conflit d’intérêts entraînant un manquement au principe l’impartialité
Méconnaissance du principe d’impartialité
Le Conseil d’État rappelle que le principe d'impartialité, qui implique l'absence de situation de conflit d'intérêts au cours de la procédure de sélection, est un principe général du droit qui s’applique à l’acheteur public.
Le juge précise qu’une situation de conflit d'intérêts se définit comme toute situation dans laquelle une personne qui participe au déroulement de la procédure de passation du marché public ou est susceptible d'en influencer l'issue a, directement ou indirectement, un intérêt financier, économique ou tout autre intérêt personnel qui pourrait compromettre son impartialité ou son indépendance. Le juge ajoute que l'existence d'une situation de conflit d'intérêts est constitutive d'un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence qui est susceptible d'entacher la validité du contrat.
En l’espèce, le technicien était chargé d’analyser les offres au regard des critères de sélection des candidatures et des offres. Le juge relève que trois mois avant l’attribution du marché, ce technicien travaillait encore au sein de la société NXO France et occupait des fonctions de haut niveau ayant trait à un objet en relation directe avec le contenu du marché.
Partant, le juge énonce que la participation à la procédure de sélection pouvait légitimement faire naître un doute sur la persistance d'intérêts le liant à la société NXO France et par voie de conséquence sur l'impartialité de la procédure suivie par la collectivité de Corse. Il n’est pas nécessaire de rechercher une intention de favoriser un candidat.
Ainsi, le Conseil d’État confirme que la méconnaissance du principe d’impartialité est constitutive d’un vice d’une particulière gravité justifiant l’annulation du contrat.
Une situation de conflit d'intérêts se définit comme celle dans laquelle une personne qui participe au déroulement de la procédure ou est susceptible d'en influencer l'issue a un intérêt financier, économique ou tout autre intérêt personnel qui pourrait compromettre son impartialité ou son indépendance.
Indemnisation de la perte de chance sérieuse d’obtenir le contrat
Le Conseil d’État poursuit en rappelant que lorsqu’un candidat évincé irrégulièrement demande la réparation de son préjudice, et qu’il existe un lien direct de causalité entre la faute résultant de l'irrégularité et les préjudices, le juge doit vérifier si le candidat était ou non dépourvu de toute chance de remporter le contrat.
En l'absence de toute chance, il n'a droit à aucune indemnité. Dans le cas contraire, il a droit en principe au remboursement des frais qu'il a engagés pour présenter son offre.
En l’espèce, la société Corsica Networks, dont l’offre avait été jugée recevable et qui était la seule concurrente, avait reçu une note de 15,50 sur 20, alors que la note de 17,70 sur 20 avait été accordée à NXO France.
Le Conseil d’État confirme l’analyse de la Cour administrative d’appel : dans le cadre d'une procédure dépourvue de tout manquement au principe d'impartialité, la société Corsica Networks aurait disposé de chances sérieuses d'obtenir le marché.
Le Conseil d’État estime donc qu’elle est fondée à demander l’indemnisation de son manque à gagner
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Marchés à procédure adaptée
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Dématérialisation des procédures
Déroulement de la procédure
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Source :
Conseil d’État 25 novembre 2021, n° 454466.
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